Voilà donc un peu moins d’un an que j’ai quitté Montréal. J’y repense souvent. Je me souviens de ses rues, du détachement et de la fantaisie de sa population, je me souviens de sensations éprouvées en photographiant alors que je souhaitais réaliser une poétique de la ville et de l’éloignement,une ballade américaine en somme. Je travaillais de nuit aux urgences d’un grand hôpital, j’étais infirmier, je le suis toujours. Nous habitions, avec ma compagne et nos deux filles, le quartier cosmopolite du Mile End, quelques blocs nichés entre l’avenue du parc et le boulevard Saint Laurent. Au nord, deux lignes noires dans la neige où se succédaient les trains de la Canadian Pacific Railway ; au sud, les ruelles étroites du plateau. La ville que, dès lors, je me mis à photographier se confondit avec mes rêves de gosse, lorsque j’imaginais, assis dans l’obscurité d’une salle de cinéma, ce que signifiait vivre en Amérique. Les gamins de là bas me rappelèrent ceux peuplant mon enfance dans l’Aveyron, les saisons se mêlèrent à mes souvenirs – la blancheur hivernale de l’Aubrac, une boralde claire, les remous du Saint-Laurent. Aujourd’hui, les sensations les plus nettes qui me restent en mémoire sont sans doute celles de mes matins d’hiver. Je sortais de l’hôpital, imprégné de l’odeur et de l’humeur des autres, dans le froid glacial. Il n’y avait plus de parfum. Je me souviens de boulevards vides et blancs, de la neige qui tombait doucement, en silence, j’aimais photographier ces moments-là. C’est une chose étrange de découvrir une ville en travaillant la nuit, aux urgences. J’avais la sensation que, de cette manière, il ne pouvait y avoir de mensonges, nous demeurions là au plus près de nos fragilités,recroquevillés dans la part d’ombre des murs de la cité. Le titre de cette série « tôt un dimanche matin» est emprunté à Edward Hopper qui peignit en 1930 cette toile conservée de nos jours au Whitney Museum de New York. Je me suis autorisé cet emprunt parce que la peinture de Hopper me touche, mais aussi parce que dimanche est un jour à mon sens particulier, un silence dans la mesure, une petite mort. Au-delà d’une représentation géographique d’un espace très délimité, ce journal est en outre une fenêtre avec vue sur l’intérieur,parce qu’une photographie n’est jamais qu’un miroir. «Tôt un dimanche matin » est enfin le témoignage du caractère mouvant de la ville, car comme notre visage qui va se creuser au fil des ans, la cité sans cesse se transforme, meurt et renaît. De ce mouvement des atomes, fragilité de la ville, j’ai extrait deux années. Un silence dans la mesure, là aussi une petite mort.
So it's a little less than a year since I left Montreal. I think about it often. I remember the streets, the detachment and the fantasy of its people, I remember sensations experienced by photographing while I wanted to achieve a poetic of the city and remoteness, an American ballade in short. I worked at night in the emergency room of a big hospital, I was a nurse, I still am. We lived with my partner and our two daughters, the cosmopolitan Mile End neighborhood, a few blocks nestled between Park Avenue and Saint Laurent Boulevard. To the north, two black lines in the snow followed by trains of the Canadian Pacific Railway; to the south, the narrow alleys of the plateau. The city that, from then on, I began to photograph became confused with my childhood dreams, when I imagined, sitting in the darkness of a movie theater, what it meant to live in America. The kids from there reminded me of those populating my childhood in France, the seasons mingled with my memories - the winter whiteness of the « Aubrac », a clear river, the eddies of the St. Lawrence. Today, the clearest feelings that remain in my memory are probably those of my winter mornings. I was leaving the hospital, imbued with the smell and mood of others, in the icy cold. there was no more perfume. I remember empty and white boulevards, snow falling slowly, silently, I loved photographing those moments. It's a strange thing to discover a city working at night, in emergencies. I had the feeling that, in this way, there could be no lies, we stayed there as close to our weaknesses, curled up in the shadowy part of the walls of the city.The title of this series "early sunday morning" is borrowed from Edward Hopper 1930 painting, preserved today at the Whitney Museum in New York. I authorized this loan because Hopper's painting touches me, but also because Sunday is a day in my particular sense, a silence in the measure, a small death. Beyond a geographical representation of a very limited space, this photographic series is also a window with a view of the interior, because a photography remains a mirror."Early sunday morning" is finally the testimony of the moving character of the city, because as our face which will grow over the years, the city constantly changes, dies and is reborn. From this movement of atoms, fragility of the city, I extracted two years.Silence to the measure, there too a little death.
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