J’ignore le moment où cette série a précisément commencé. Sans doute pas à la première photo.  Je crois que tout ceci remonte à bien plus loin, au-delà de ma propre mémoire. Ce sont des images qui se bousculent : un curé revêtu d’une longue cape noire, marchant dans la neige  au cœur d’une forêt, tenant en équilibre sur ses épaules une chambre photographique. Ce sont encore  des images de gamins dévalant des prés, un morceau de bois sur lequel ont été cloués quelques insectes, des sauts de l’ange dans un déversoir et un tiroir qui chute. Ce tiroir, échappé d’une petite table de chevet que  je déménageais en décembre 2013, libérait ainsi ce qu’il dissimulait : Une facture de bistrot et une prescription  médicale, datées toutes deux de 1947, une poignée de coton, une photographie sur laquelle figurait ma mère, enfin du papier destiné à l’entretien de verres optiques.  Cette table de nuit fait partie de ces meubles auxquels je suis attaché et dans laquelle par mégarde, ma grand-mère maternelle, morte en 2008, avait laissé s’échapper ces quelques éléments, dissimulés depuis 60 ans. Le plus troublant dans cette découverte n’a pas été les papiers, ni la photographie d’ailleurs, mais bien plutôt cette chose si précieuse, enfermée là durant toutes ces années… confinement délicat : son odeur. La bourre de coton contenait son odeur. J’ai gardé précieusement l’ensemble afin de le montrer à sa fille, ma mère, avant de glisser à nouveau chaque élément derrière le tiroir, au cœur de ce double fond presque inaccessible, là où demeure circonscrite l’odeur de ma grand-mère. Mes saisons noires sont celles de l’enfance, saisons plongées dans l’obscurité, que le temps chaque jour recouvre davantage. Le territoire photographié est une campagne française où j’ai grandi, et dont les paysages, semblables à cette table de chevet, dissimulent ma mémoire, toutes les odeurs et les goûts qui progressivement m’ont constitué, les sensations, la vie éprouvée, saison après saison.                    

I do not know when this series started precisely. Probably not at the first picture. I believe that all this goes back much further, beyond my own memory. These are images that jostle each other: a priest dressed in a long black cape, walking in the snow in the heart of a forest, balancing on his shoulders a photographic chamber. They are still pictures of kids running down meadows, a piece of wood on which some insects have been nailed, jumps in a spillway and a falling drawer. This drawer, escaped from a small bedside table that I moved in December 2013, thus released what he concealed: A bistro bill and a medical prescription, both dated 1947, a handful of cotton, a photograph on which included my mother, finally paper for the maintenance of optical glasses. This bedside is one of those furniture to which I am attached and in which inadvertently, my maternal grandmother, died in 2008, had let escape these few elements, hidden for 60 years. The most disturbing thing in this discovery was not papers, nor photography, but rather this precious thing, locked up there for all these years ... delicate confinement: its smell.The cotton wad contained its odor. I kept the set carefully to show it to his daughter, my mother, before sliding each item back behind the drawer, in the heart of this almost inaccessible double bottom, where remains the circumscribed odor of my grandmother. My black seasons are those of childhood, seasons plunged in darkness, which the weather each day covers more. The photographed territory is a French countryside where I grew up, and whose landscapes, similar to this bedside table, hide my memory, all the smells and the tastes that gradually constituted me, the sensations, the seasoned life, season after season.

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