Au cours de l’été 2015, j’eus l’occasion d’habiter une petite maison, quelques jours, sur l’île d’Ouessant. Il y avait là un piano dont les touches peinaient à remonter, mortaises gonflées d’embruns, le vent qui s’appuyait contre la porte. Il y avait un piano et des livres aussi. Beaucoup de livres. Nombreux étaient ceux qui racontaient l’île, son histoire particulière, ses spécificités, si bien que j'éprouvai la sensation d’habiter un bout du monde, plutôt, un endroit au-delà du monde, une île fantasmée, un rocher sans arbre battu par les flots où ne subsisteraient plus que la mer et le vent. Parmi ces livres, "La Mer" de Bernhard Kellermann. Son auteur y conte un séjour de quelques mois à Ouessant dans les années 1910, son verbe magnifique me fit pénétrer l’île avec délice. Lire les pages de "La Mer" lorsque la nuit est tombée et que gronde cette même mer à quelques encablures, vous réserve des plaisirs difficiles à réinventer. Dans les premières pages, Kellermann écrit : "Le chemin passait tout en haut des rochers dans lesquels la mer pompait et raclait sans arrêt. Jour et nuit elle était au travail. Elle trouvait une fissure et commençait à percer un tunnel. Il fallait qu’il soit fini dans mille ans, et elle se mettait courageusement à l’œuvre. Quelques pas plus loin elle martelait dans une grotte et burinait dans une faille. Dans mille ans la faille devait rejoindre le tunnel. Alors, pendant les grandes tempêtes, elle lancerait en l’air des pics et des pointerolles pour creuser une galerie. Et mille autres années plus tard le plafond était si mince qu’il s’écroulerait sous les averses, et un rocher se dressait, dégagé et tranchant comme une faux. Et la mer se cherchait une nouvelle tâche. Elle avait le temps."